Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 23 mai 2024, n° 21/06057 | Doctrine (2024)

AFFAIRE PRUD’HOMALE: COLLÉGIALE

N° RG 21/06057 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NYOB

S.A.S. HBF

C/

[B] DIV [Y]

APPEL D’UNE DÉCISION DU:

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de SAINT ETIENNE

du 22Juin2021

RG: F18/00271

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 23MAI2024

APPELANTE:

S.A.S. HBF Venant aux droits de la SAS NOUVELLE SOCIETE P+ (NSP+)

[Adresse 8]

[Localité 1]

représentée par MeThomas FERNANDEZ-BONI de la SELARL NORTHERN LIGHTS, substitué par MeAnne-julie DE ABREU, avocats au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE:

[U] [B] DIV [Y]

née le 21Mars1968à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par MeFrançois DUMOULIN de la SELARL DUMOULIN-PIERI, substitué par MeSandrine PIERI, avocats au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU: 22Février2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:

Etienne RIGAL, Président

Nabila BOUCHENTOUF, Conseiller

Françoise CARRIER, Conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Assistés pendant les débats de Anais MAYOUD,

ARRÊT: CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23Mai2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450alinéa 2du code de procédure civile ;

Signé par Nabila BOUCHENTOUF, Conseiller pour Etienne RIGAL, Président empêché, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

Mme [U] [Y] a été embauchée le 17décembre2003par la société Prodelect+, exploitant un établissem*nt à [Localité 7] (Loire) en qualité de préparatrice. Son contrat de travail a été transféré au sein de la SAS Nouvelle Société P+ (NSP+) suite à l’acquisition de la société Prodelect+ par le groupe -HBF

Le 31août2017, les délégués du personnel de la société NSP + ont été convoqués à une réunion d’information/consultation sur un projet de modification des contrats de travail pour motif économique en raison d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise et sur un projet de fermeture de l’établissem*nt de [Localité 7] avec regroupement du personnel sur un unique site sis à [Localité 5] (Ariège). Cette convocation pour une réunion extraordinaire fixée le 7septembre2017était accompagnée d’une note d’information sur le projet de réorganisation.

Suite à cette réunion qui s’est tenue le 7septembre2017et par lettre du 12septembre, la société NSP+ a proposé à Mme [U] [Y] une modification de son contrat de travail pour motif économique avec transfert du lieu de travail vers le siège social de l’entreprise à [Localité 4] (Haute-Garonne) proposition que celle-ci a refusée en s’abstenant de répondre à la proposition dans le délai fixé à un mois.

Les délégués du personnel ont été consultés sur le projet de licenciement collectif pour motif économique le 25octobre2017puis le 7novembre2017. Au cours de ces réunions, ils ont été informés des motifs économiques présidant à la fermeture de l’établissem*nt de [Localité 7] et des différentes mesures d’acompagnement de la mutation géographique proposée à l’ensemble des salariés de cet établissem*nt parmi lesquelles une aide au déménagement et au logement et une prise en charge des frais de déplacement pour la visite du nouveau site de [Localité 5].

Par lettre en date du 7novembre2017, la société NSP+ a notifié à Mme [U] [Y] les motifs économiques conduisant à envisager son licenciement.

Par courrier en date du 10novembre2017, la Société NSP+ a proposé à Mme [U] [Y] une solution de reclassem*nt en qualité de préparatrice au siège social de l’entreprise à [Localité 4], proposition que Mme [Y] a refusée.

Le contrat de travail de Mme [Y] a été rompu le 28novembre2017.

Par requête reçue au greffe le 30mai2018, Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d Saint-Etienne à l’effet de contester son licenciement et d’obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement de départage du 22juin2021, le conseil de prud’homme a:

— déclaré le licenciement pour motif économique de Mme [U] [Y] sans cause réelle et sérieuse,

— condamné la SAS Nouvelle Société P+ à payer à Mme [U] [Y] la somme de 22 090,35 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts au taux légal à compter du jugement,

— débouté Mme [U] [Y] de sa demande en indemnisation au titre d’une violation du droit à l’emploi,

— condamné la SAS Nouvelle Société P+ à payer à Mme [U] [Y] la somme 1 000 € au titre de l’article 700du code de procédure civile et aux dépens.

La société HBF a interjeté appel le 21juillet2021.

Aux termes de conclusions notifiées le 2mai2022, elle demande à la cour de:

— infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et

sérieuse et l’a condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 22 090,35 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 1 000 € au titre de l’article 700du code de procédure civile et les dépens,

— débouter Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes,

— condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700du code de procédure civile.

Elle fait valoir:

— que les mesures d’accompagnement à cette modification du contrat ont été discutées et soumises pour avis aux délégués du personnel lors de la réunion du 7septembre2017et présentées aux salariés du site de [Localité 7] à l’issue de cette réunion,

— que Mme [Y] a eu connaissance de la note remise aux représentants du personnel comprenant la description précise de ces mesures d’accompagnement,

— que l’article L.1222-6du code du travail ne prescrit pas de mentionner dans la proposition les mesures d’accompagnement,

— que la proposition de modification du lieu d’exécution du travail était conforme au projet de réorganisation et n’était entachée d’aucune irrégularité,

— que les difficultés économiques doivent être appréciées au niveau de la société NSP+ et de l’ensemble des sociétés du groupe ayant une activité de vente à destination des Grandes Surfaces Alimentaires (GFA)à savoir les sociétés Otio SAS, Elexity et Inotech en se référant aux seuls chiffres générés par cette activité,

— que la société Onexo n’intervient pas dans le même secteur d’activité puisqu’il s’agit d’un site de commercialisation de produits en ligne,

— que la mesure est justifiée par la baisse d’un indicateur chiffré et en raison de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à sa compétitivité,

— que la salariée fait des comparaisons tous canaux de distribution confondus,

— que les menaces sur la compétitivité sont: des évolutions techniques continuelles, et rapides, l’augmentation des exigences des clients et de la concurrence, le recul du rayons bricolage dans les grandes surfaces, la baisse des parts de marché, un mouvement accéléré de baisse des prix et de baisse des marges et donc une très forte tension économique sur le marché de la vente de matériel de bricolage à destination des GSA,

— qu’elle n’était pas tenue de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi, comportant moins de 50salariés,

— que le fait d’avoir proposé le même poste dans le cadre du reclassem*nt que dans le courrier de proposition de modification ne constitue pas une irrégularité,

— que les recrutements dans les diverses sociétés du groupe se font au niveau du service des ressources humaines commun à toutes les sociétés, centralisé chez HBF,

— que tous les postes disponibles ont été proposés, avec un recrutement sur la maison mère, les trois autres sociétés ne comportant aucun salarié,

— que le fait que certains salariés n’aient pas été remplacés n’entâche pas le caractère sérieux et loyal de la recherche de reclassem*nt.

Aux termes de conclusions notifiées le 11janvier2022, Mme [U] [Y] demande à la cour de:

— débouter la société HBF de l’ensemble de ses demandes,

— réformer le jugement sur le montant des dommages-intérêts alloués en raison de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

— condamner la société HBF venant aux droits de la société NSP+ à lui payer la somme de 34 578 € titre dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts de droit à compter de la décision,

— condamner la société HBF venant aux droits de la société NSP+ à lui verser la somme de 1 500 € par application de l’article 700du code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait valoir:

— que la proposition initiale de modification du contrat de travail pour motif économique est illicite en ce qu’elle n’est accompagnée d’aucune information sur les nouvelles conditions d’emploi ou sur les mesures d’accompagnement de cette modification lui permettant de

prendre position dans le délai imparti,

— que la proposition de modification contractuelle n’était en outre pas conforme au projet de réorganisation puisque in fine, le regroupement devait se faire sur le site unique de [Localité 5] et non pas à [Localité 4],

— que le secteur d’activité pertinent du groupe HBF permettant d’apprécier la cause économique devait être constitué des sociétés exerçant sur un marché domestique du bricolage, tous réseaux et modes de distribution confondus c’est à dire à la fois les grandes surfaces de bricolage, les grandes surfaces alimentaires et le e-commerce, à savoir les sociétés Inotech, Otio, Elexity et la société Onexo, peu important que celle-ci consacre son activité exclusivement au e-commerce,

— qu’en l’absence d’intégration des résultats de la société Onexo dans le périmètre pertinent, l’employeur manque a établir l’existence d’un motif économique,

— que les documents comptables produits par l’employeur ne permettent pas de mettre en évidence la nécessité d’une sauvegarde de la compétitivité en l’absence d’indicateurs sérieux de menaces pour la survie de l’entreprise,

— que la société NSP+ n’a accompli aucune recherche sérieuse de reclassem*nt, qu’elle ne lui a pas proposé d’autre poste que celui dont elle était déjà titulaire, alors que la société HBF a procédé à des recrutements dans la période contemporaire à la procédure de licenciement, que la répétition de la proposition de modification contractuelle initiale était insuffisante.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la cause économique du licencenciement

Selon l’article L.1233-3du code du travail, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3et à l’article L.233-16du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Il résulte de ces dispositions que le secteur d’activité se caractérise en premier lieu par la délimitation préalable d’un marché, que les critères de nature des produits ou des services, de la clientèle ciblée, des réseaux et modes de distribution ne sont pris en compte que dans la mesure où ils se rapportent à un même marché. Ces dispositions n’autorisent donc pas la segmentation du périmètre d’appréciation des difficultés économiques en terme de produits, de frange de marché ou de modes de distribution.

Dans son projet de reprise de la société Prodelect+ en date du 19novembre2015,la société HBF se présentait comme leader sur le marché français dans la distribution de matériel électrique, de domotique et d’éclairage à travers les grandes enseignes de grandes surfaces de bricolage et, dans une moindre mesure, les grandes surfaces alimentaires et par internet (e-commerce) ce sans distinction des modes de distribution.

Il apparaissait ainsi que l’ensemble des sociétés du groupe avait pour objet et activité principaux la distribution des produits du groupe à destination d’un même marché, celui du bricolage et d’une même clientèle celle des consommateurs particuliers sans distinction de typologie de produits et qu’en application de l’article L.1233-3, le périmètre pertinent du secteur d’activité pour l’appréciation de la cause économique devait être les sociétés du

groupe exerçant sur la marché domestique du bricolage tous réseaux et modes de distributions confondus c’est à dire à la fois les grandes surfaces de bricolage, les grandes surfaces alimentaires et le e-commerce pour l’intégralité de leurs résultats.

La société HBF ne discute pas que cette présentation correspond à la réalité de son activité à la date du licenciement de Mme [Y].

Or elle a limité le périmètre d’appréciation de la cause économique aux sociétés du groupe ayant une activité de vente à destination des grandes Surfaces Alimentaires (GFA) en se référant aux chiffres des sociétés NSP+, Otio, Elexity et Inotech générés par cette seule activité alors d’une part que toutes ces sociétés ont également une activité de distribution des produits du groupe par le canal des grandes enseignes de bricolage et d’autre part que la société Onexo commercialise les mêmes produits en ligne.

Il en résulte qu’en se fondant sur un secteur d’activité non pertinent, l’employeur a présenté une situation financière tronquée insusceptible de faire la preuve du motif économique invoqué.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Selon l’article L.1235-3du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

Au regard de son âge à la date du licenciement, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés de réinsertion professionnelles rencontrées, le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme [U] [Y] du fait de la perte de son emploi de sorte que le jugement est également confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

La société HBF qui succombe supporte les dépens et une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société HBF venant aux droits de la SAS Nouvelle Société P+ (NSP+) à payer à Mme [U] [Y] la somme de 1 500 € en application de l’article 700du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens.

Le greffier Le président

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